C'est un concept de formation original basé sur la prise de parole et qui s'adresse exclusivement aux femmes.

Fanny Dufour, la fondatrice des Nouvelles Oratrices, est partie du constat suivant : même si elles ont des responsabilités professionnelles, les femmes continuent souvent à se sentir illégitimes quand il s'agit de s'exprimer oralement.

Pour conforter ses intuitions et soutenir son travail, elle a conçu et réalisé une enquête à laquelle plus de 700 femmes ont accepté de répondre.

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Rencontre avec Camille Daniel, co-rédactrice de l'enquête et coordinatrice du projet

Comment est née l'idée de cette enquête ?

Quand nous cherchions des données sur la prise de parole des femmes nous trouvions le plus souvent des enquêtes faites à l'étranger et un peu datées. Elles disaient tout le temps un peu la même chose à savoir que les femmes sont plus souvent interrompues dans leur parole en public, que les hommes en réunion s'approprient beaucoup les idées des femmes, etc. Ça nous ennuyait un peu de devoir mettre les femmes et les hommes en opposition constante. Ce qui nous intéressait c'était de recentrer le sujet sur la parole des femmes et surtout leur expérience, leur ressenti. Nous leur demandons par exemple si elles se sentent plus ou moins éloquentes, si elles ont des complexes... c'est très personnel et c'est vraiment le point de vue des femmes qui nous intéressent.

Qui sont les femmes qui ont participé à votre enquête ?

Notre enquête s'est déroulée de juillet à septembre derniers. Nous l'avons adressée à toutes les femmes déjà en lien avec les Nouvelles Oratrices à Rennes, Nantes, Brest et Vitré mais aussi partagée sur les réseaux sociaux professionnels et personnels. Nous n'avions pas de cible particulière, la seule condition pour répondre était d'avoir un job ; l'âge, la profession, le lieu de vie n'avaient pas d'importance pour nous.

Qu'avez-vous appris ou confirmé avec cette enquête ?

L'enquête à conforté ce que nous imaginions sur certains points mais quelques chiffres nous ont tout de même étonnées. Nous nous sommes rendu compte que 64 % des dirigeantes peuvent se censurer de peur de dire une bêtise. Les réponses nous ont par ailleurs confirmé que l'âge et l'expérience sont des facteurs d'évolution ; une femme sur deux qui prend la parole tous les jours se considère comme éloquente contre seulement 34 % des personnes qui ne s'expriment qu'occasionnellement. Autrement dit : plus on s'exprime plus on est à l'aise ! Il faut noter aussi une différence assez marquée entre les moins de trente ans et les plus de cinquante ans ; les plus jeunes complexent davantage : 48 % contre 21 %.

Et maintenant, qu'allez-vous faire de ce travail ?

Cette enquête va venir enrichir notre module de formation sur la légitimité. Nous aimerions qu'elle permette des prises de conscience à la fois des femmes elles-mêmes et de l'entreprise en général, notamment des collègues masculins et des employeurs. Par ailleurs, le résultat direct de ce travail c'est aussi de nous conforter dans notre envie d'agir dès le plus jeune âge. Nous savons parfaitement qu'à l'école déjà on ne prend pas la parole de la même manière si on est fille ou garçon et on ne donne pas la parole de la même manière non plus aux filles et aux garçons. On demande aux uns d'exprimer des avis, de faire preuve de créativité quand on attend des autres qu'elles restituent une leçon par exemple, donc en risquant de se tromper. Il faudrait inverser cette dynamique, casser les codes et pour ça que chaque adulte se déconstruise et réfléchisse d'une autre manière pour donner à chaque enfant l'espace de s'exprimer de façon égalitaire.

Vous prônez la non mixité ?

La mixité parfois invite à prêter attention à des détails superflus qui encombrent et viennent parasiter les interventions. Un regard masculin qui pèse et la femme qui prend la parole se sent obligée de rentrer le ventre, se demande si elle est bien coiffée, etc. Ce n'est pas toujours la faute des hommes, c'est juste notre société qui est faite comme ça. Du coup, c'est très important d'avoir des espaces de non mixité pour s'entraîner en toute sororité, en toute bienveillance. C'est ce que nous proposons avec les cercles de paroles des Nouvelles Oratrices. Y compris pour les femmes qui n'auraient pas de frein à prendre la parole ; entendre les expériences moins réussies des autres femmes peut ensuite créer de la bienveillance entre femmes dans le monde du travail. Tandis que celles qui ont du mal vont pouvoir se dire : « ça me stresse mais si elle y arrive, je vais y arriver aussi ! » La non mixité est donc intéressante pour les formations sur un temps court parce que ça fait des espaces pour souffler et se ressourcer entre femmes. Mais laisser les hommes d'un côté et les femmes de l'autre n'est pas du tout ce que nous souhaitons bien sûr !

Propos recueillis par Geneviève ROY

Voir aussi notre article publié en juin 2020