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Quand on est âgé-e et qu'on souffre de troubles de la mémoire, c'est au jour le jour, dans les gestes du quotidien qu'il faut trouver les repères pour garder le cap.

Isabelle Ledrou-Maguet en est persuadée. Pour cette ancienne infirmière un accompagnement personnalisé - « une personne pour une personne » - est la meilleure réponse à apporter aux patient-e-s.

Il y a tout juste un an, elle a co-fondé à Rennes une entreprise de service qui permet un maintien à domicile dans les meilleures conditions.

Aujourd'hui, elle gère une vingtaine de salarié-e-s et c'est une centaine de familles qui l'an dernier lui ont fait appel.

 

« J'ai toujours voulu être infirmière ; c'était quelque chose que j'avais au fond de moi » se souvient Isabelle Ledrou-Maguet pour ajouter aussitôt : « mais, je n'aimais pas l'école ! » En quittant le lycée, elle ne se sent « pas assez mûre » pour s'engager dans les trois années d'études nécessaires. Alors, elle opte pour un BTS Assurance qui ne la comble pas. Et comme sa priorité est son « indépendance financière » elle passe deux ans au comptoir d'un fast-food de Saint-Brieuc. C'est là qu'elle rencontre des collègues, étudiantes à l'école d'infirmière, et que son ancienne passion refait surface.

« J'avais l'impression

de m'occuper de la personne

dans son ensemble »

Etudiante à Paris, la jeune femme s'épanouit et multiplie les stages « super intéressants ». Elle se sent « comme un poisson dans l'eau » et fraîchement diplômée retrouve sa chère Bretagne. Elle exercera une quinzaine d'années, d'abord à Dinan puis à Rennes. Entre-temps, Isabelle a rencontré « l'homme de [sa]vie » et a choisi d'être infirmière à domicile.

« A l'hôpital – regrette-t-elle – on s'occupe des maladies mais pas des malades. En intégrant des soins infirmiers à domicile, j'avais vraiment l'impression de m'occuper de la personne dans son ensemble. » Très vite, elle rejoint une équipe « super motivée » pour la création d'un service d'accompagnement des personnes à mobilité réduite et commence à développer des valeurs qui lui tiennent à cœur.

isabelle2Alors, lorsqu'elle entend parler du projet de Jean-Baptiste Lenclos, elle fonce. Ensemble, ils partagent la même envie : assurer le bien-être des gens dont ils s'occupent mais en même temps le bien-être des salarié-e-s de l'équipe. « Je ne revendique pas être à l'origine de l'idée – dit Isabelle aujourd'hui – mais j'ai adhéré à fond ! » Et le 1er avril 2016, est créée l'entreprise Au Jour le Jour 35 dont Jean-Baptiste et Isabelle sont co-gérants et qui assure la prise en charge à domicile des personnes ayant des troubles de la mémoire.

Un service comme celui-ci, il n'en existe que cinq en France. La jeune femme est très fière de ce « côté innovant » et parle d'une « approche comportementale basée sur le toucher, le regard, la parole ». Ses patient-e-s – deux tiers de femmes, un tiers d'hommes - sont tous-tes des personnes âgées, voire très âgées, souffrant de la maladie d'Alzheimer ou de troubles apparentés notamment suite à des AVC. « Pour tout ce qui est traitement, on n'y est pas du tout » estime Isabelle qui intervient non plus comme personnel soignant mais dans l'accompagnement du quotidien.

« La personne est chez elle ;

elle nous y invite »

« On ne fait pas pour les gens, on fait avec » dit-elle encore défendant l'idée que « faire à leur place, c'est dévalorisant voire humiliant ». Alors, pour protéger l'intimité des personnes, les salarié-e-s d'Au Jour le Jour 35 répondent à un protocole très élaboré. « Il faut une personne de référence, c'est très important quand on a des troubles de la mémoire de pouvoir s'accrocher à une voix, une façon de se tenir » explique encore Isabelle qui s'assure donc que chaque patient-e soit toujours accompagné-e – sauf vacances ou jour de congé – par la même personne.

isabelle3Même si l'auxiliaire possède les clefs du domicile, la première marque de respect sera de frapper ou de sonner à la porte. « On ne rentre pas chez les gens comme ça – soutient Isabelle – la personne est chez elle, elle nous y invite ! » Et il en va de même pour toutes les interventions. C'est souvent au moment du repas que viennent les auxiliaires qui participent à la préparation puis mangent avec la personne accompagnée en veillant toujours à ne « pas la mettre en échec ». Mettre la table, faire la différence entre un verre et un bol, pour certains malades, ça peut être compliqué. « Il faut faire en sorte que la personne s'intègre dans sa propre vie – dit encore Isabelle – qu'elle continue à faire des choses chez elle ; on est juste là pour la guider. »

Parfois, les malades ont encore leur conjoint-e. Mais il arrive souvent que l'aidant-e soit plus épuisé-e encore que la personne malade. « C'est difficile pour cette génération d'admettre qu'il faut se faire aider – analyse Isabelle – Surtout pour les femmes ! Les hommes, eux, souvent ne se posent pas la question ; de toute façon ils ne savent pas se débrouiller dans la maison. Mais ça peut aussi être très compliqué pour eux, parce qu'ils continuent à vivre comme si et ils oublient que leur conjointe est malade. »

« Il faut casser le disque rayé

tout en douceur »

Le repas, le ménage, les courses, l'entretien du linge... l'accompagnement passe par tous les gestes ordinaires de la vie. La toilette, aussi. Un moment un peu difficile parfois, reconnaît Isabelle « parce qu'on rentre dans l'intimité ». « Même si c'est ça la demande de la famille – explique-t-elle – il faut d'abord établir une relation de confiance avant d'arriver jusqu'à la salle de bain. » Pour certaines personnes, il faudra une semaine, pour d'autres plusieurs semaines voire plusieurs mois. Les professionnel-le-s savent profiter d'un moment de détente pour aller plus loin. « Une fois qu'on a mis les pieds dans l'eau tiède avec du gros sel, on peut commencer à remonter – détaille Isabelle – ou on commence avec la brosse à cheveux puis on redescend pour faire un massage des épaules. Après, on peut tranquillement passer à la toilette. »

Les interventions d'Au Jour le Jour, c'est d'abord du relationnel. « On n'est pas le soin technique - dit Isabelle, l'ancienne infirmière – notre objectif c'est de rassurer par notre présence. » Et de permettre aux personnes de maintenir leurs capacités cognitives : prendre cinq minutes pour lire le journal ensemble, faire des mots fléchés, un petit jeu de société adapté... Et surtout éviter que la personne « tourne en rond » ou « cogite trop ». « Les malades d'Alzheimer vont répéter quinze fois, cent fois la même chose. Il faut un moment donné casser ce disque rayé tout en douceur, s'assurer que la personne est occupée, qu'elle ne s'ennuie pas. » Une question d'humanité !

Geneviève ROY