Aujourd'hui elle est devenue formatrice en relations humaines et travaille sur la prévention des violences notamment en milieux carcéral et éducatif. Il faut dire qu'en matière de violences, Laurence Noëlle sait de quoi elle parle.

Maltraitée dès sa petite enfance, elle a connu l'inceste, la prostitution puis l'alcoolisme. « Il m'a fallu de longues années pour transformer tout ça » dit-elle évoquant un long cheminement en psychothérapie et développement personnel.

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A 46 ans, elle publie un livre-témoignage pour dire comment les « à cause de » peuvent devenir des « grâce à ». « Je ne suis pas responsable d'avoir vécu une enfance et une adolescence douloureuses et violentes – écrit-elle – mais j'ai le pouvoir d'en guérir et d'en faire quelque chose de positif pour moi-même et pour les autres. »

En d'autres termes le pouvoir de « Renaître de ses hontes ».

 

 "La prostitution est quand même ma plus grande honte"

 

Un ciel gris sur une petite ville de Bretagne. Une rue calme aux pavillons alignés. Laurence s'affaire pour terminer ses décorations de Noël. C'est une femme souriante, chaleureuse, presque sereine. Pourtant, elle reconnaît à demi-mots, malgré tout le travail psychologique et l'accompagnement d'une famille aimante, que les blessures sont longues à guérir. Elle pleure, souvent, Laurence, croit-on comprendre quand elle se raconte.
Elle pleure de joie aussi, parfois, ce qu'elle appelle ses « moments de grâce ». C'est que depuis quelques mois, les événements se sont un peu précipités autour d'elle. Et qu'après avoir refoulé un passé qu'elle jugeait honteux, après avoir refusé d'en parler pendant des années, elle se retrouve devant les députés à Paris, puis à Bruxelles, sur les chaînes de télévision et devant les journalistes de la presse écrite... « La vie m'amène sur un plateau tout ce dont j'ai toujours eu le plus peur – avoue-t-elle en riant – La prostitution est quand même ma plus grande honte. Pendant 28 ans, je n'ai pas voulu en entendre parler et maintenant je ne parle que de ça, je m'expose à visage découvert ! »

« Un festival de synchronicité »

Tout commence pour elle par l'écriture d'un livre-témoignage. « Mon bouquin, c'était pour parler de la honte – raconte-t-elle – Pour dire que c'est possible de s'en sortir, de vivre autrement, de transformer sa honte. Je n'ai pas écrit ce livre pour dénoncer la prostitution, je l'ai fait pour dire que c'est possible de transformer ses blessures. »
Seulement, voilà, ce qu'elle appelle la « loi de la synchronicité » la rattrape.
couverture« J'ai sorti ce livre sans savoir qu'il y avait un projet de loi sur la prostitution et tout est arrivé en même temps. Les associations de lutte contre la prostitution m'ont dit : « il est génial ton bouquin parce qu'on voit bien les causes et les conséquences de la prostitution » et ça a été un festival de synchronicité ; les journalistes ont commencé à me tomber dessus ! »
Pour Laurence en effet, tout s'enchaîne ; on lui demande de venir témoigner à l'Assemblée nationale où elle remet officiellement son livre aux femmes en charge du projet de loi, la députée Maud Olivier et la présidente de la commission des droits des femmes, Catherine Coutelle ; elle rencontre la ministre des droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem et est invitée au Parlement Européen. Dans les mêmes temps, elle apprend qu'un réseau d'anciennes prostituées militent dans le monde pour l'abolition de la prostitution et que certaines de ces « survivantes » envisagent de s'organiser aussi en France.
Et sans qu'elle ait pu anticiper ce qui lui arrive, elle se retrouve exposée. « On se dépasse soi-même ; on n'a plus peur pour sa petite vie, son petit confort. J'ai l'impression de semer une petite graine dans ce monde – dit celle qui désormais se sent une mission de "passeuse" - Je connais des femmes qui se sont reconstruites et qui préfèrent maintenant rester dans l'ombre et je les comprends. C'est parce que moi j'ai fait tout un travail que j'en suis capable, mais ça reste souvent douloureux. On me dit que j'ai du courage mais quelquefois j'ai envie de tout arrêter parce que c'est difficile. Et puis, je prends des risques, pour moi, pour mon travail... pour ma famille, aussi ! Je n'ai pas envie que mon fils se fasse traîter de « sale fils de pute ! » ou qu'on vienne écrire des graffitis sur le mur de ma maison. »

« J'ai toujours mon marquage là ! »

Pourtant, Laurence trouve le courage de dépasser tout ça parce que ce qu'elle entend ou lit sur la prostitution la met en colère. « Je n'ai pas le cœur d'une militante – se justifie-t-elle encore – mais à cause de ces crétins, les Antoine et les autres, qui disent n'importe quoi sans savoir de quoi ils parlent, j'ai envie d'être aux côtés des associations. L'autre jour, j'ai pleuré en regardant la manifestation à Paris (le 23 novembre – ndlr) Je me suis dit : s'il n'y avait pas eu toutes ces associations qui elles sont lucides, où en serais-je aujourd'hui ? »laurencenoelle

 

"On m'aurait interrogée quand je me prostituais,

j'aurais dit que c'était mon libre choix"

 


Quant à ceux qui pensent que les associations parlent à la place des femmes concernées et leur confisquent la parole, Laurence a aussi les arguments pour leur répondre. « Des prostituées heureuses, je n'en connais pas une seule. Mais bien sûr, moi aussi, on m'aurait interrogée quand je me prostituais j'aurais dit que c'était mon libre choix. On ne va dire qu'on souffre, on a besoin de garder un semblant de dignité. C'est comme l'alcoolisme, c'est une fois qu'on s'en sort qu'on se rend compte de la souffrance. Mais toutes ces femmes, que pourraient-elles faire ? Elles n'ont droit ni au chômage ni à la retraite. Il n'y a aucune réinsertion possible. Elles sont méprisées partout. Moi, j'ai toujours mon marquage : tu as vécu la prostitution, tu n'es qu'une sale pute et tu le resteras toujours ! »
Oui, elle s'emporte un peu Laurence quand on touche au sujet qui la bouleverse plus. Et pour lequel, elle est heureuse aujourd'hui de voir enfin la société commencer à changer de regard. Elle dénonce en vrac le mépris dont sont victimes les prostituées, « des boucs émissaires sur lesquels la société décharge sa haine », les croyances culturelles erronées et tout le folklore sur ces femmes qui préserveraient les autres des violeurs !
« La réglementation ne servirait à rien – dit-elle encore – car la prostituée, elle souffre de la même façon. Qu'on l'enferme dans une pièce, une maison close ou qu'on la mette sur le trottoir, c'est la même chose qui se produit dans l'acte sexuel, c'est la même humiliation, la même violence dégradante ! Ces femmes qui défendent la prostitution, mais qu'elles y aillent, elles, sur le trottoir ! Moi, je leur propose une émission de télé-réalité du type « vis ma vie » ! »

« La vie est à notre service »

laurenceAujourd'hui, Laurence, elle, a changé de vie. Devenue formatrice - « diplômée, j'y tiens ! » dit-elle avec fierté – elle intervient auprès des détenus, des jeunes délinquants, des enseignants ou encore avec des associations comme le Mouvement du Nid. « Souvent – dit-elle – quand j'anime des groupes de parole avec des jeunes en milieu carcéral, ils me disent : maintenant, c'est foutu pour nous. Je suis là pour leur dire : c'est possible de transformer. Longtemps, j'ai cru que la vie ne m'avait pas donné ce que j'attendais et puis j'ai compris qu'à l'inverse il fallait apprendre à se servir de ce que la vie nous donne. Les événements ne sont pas faits pour nous détruire ; la vie est à notre service. »
La sortie de son livre aura en tout cas appris deux choses à Laurence Noëlle. D'abord, elle a découvert qu'elle était capable de prendre la parole en public sur la prostitution et de s'exposer personnellement ; « avant j'étais capable de dire que j'avais eu un problème avec l'alcool, que j'avais été une enfant maltraitée, mais la prostitution je refusais d'en parler. »
Ensuite, elle se reconnaît désormais féministe. « C'est grâce à vous – se réjouit-elle – J'avais fait l'autruche pendant des années, je ne pouvais pas penser à tout ça parce que je ne voulais pas mettre le nez dans ma propre souffrance, tous ces petits détails que je ne voyais pas... maintenant grâce aux féministes qui se sont intéressées à mon livre, je découvre tout ça (y compris dans les dessins animés qu'on regarde en famille) et ça m'a montré à quel point on est encore dans un monde de domination masculine. Ca change plein de choses dans notre vie ; même pour mon mari qui a adhéré à Zéro Macho ! »
« J'ai transformé ma boue en un beau lotus blanc » écrit Laurence Noëlle dans son livre.Une façon pour elle de reconnaître aimer désormais « la petite fille qui avait été enfermée dans son placard » autrement dit de faire de ses souffrances une « honte utile ».

Geneviève ROY

 

Pour aller plus loin :

Une interview de Laurence Noëlle sur le blog d'Isabelle Alonso

Un témoignage de Laurence Noëlle sur le Huffington Post