« Et par le pouvoir d'un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté. »

Paul Eluard.

« J'écris ton nom : Liberté ! » C'est ce titre, emprunté aux vers de Paul Eluard, qu'avait choisi Raymonde Tillon-Nedelec comme intitulé de ses « Mémoires » parues en 2002.

C'est en le rappelant que Jean-Yves Le Drian, Ministre de la Défense, président de la région Bretagne, a commencé l'éloge funèbre de la grande résistante que fut Raymonde Tillon lors de l'hommage national qui lui fut rendu le 25 juillet 2016 à Rennes, devant le Parlement de Bretagne.

Tillon5

Née à Puteaux le 22 octobre 1915 Raymonde Barbé, est la fille d'un employé de la Société des Transports en Commun de la Région Parisienne.

A cinq ans elle perd ses parents. Placée dans un orphelinat religieux, elle s'enfuit avant sa majorité pour rejoindre son frère à Arles. Celui-ci est membre du Parti Communiste Français. Raymonde y adhère.

Là elle met en place une section de l'Union des Jeunes Filles de France (1). Elle est aussi membre de la fédération sportive et gymnique du travail (2).

De la prison de Rennes au camp de Ravensbrück

Femme d'action, elle apprend à piloter des avions légers et à assurer leur entretien mécanique. En 1935, elle se marie, à Arles, avec Charles Nedelec, un menuisier breton natif d'Hennebont, militant communiste syndiqué à la CGTU (3). Ils s'installent à Marseille où le couple milite pour le Front Populaire et défend la cause des Républicains espagnols.

Durant l'occupation ils s'engagent dans la résistance. Mais le 31 mars 1941 Raymonde est arrêtée. Le 7 octobre, elle est traduite devant une Section Spéciale (4) siégeant à Toulon. Condamnée à 20 ans de travaux forcés, elle connaît, après Marseille, Toulon et Lyon, les geôles de Rennes où, en juin 1944, elle est livrée aux nazis.

Tillon1Déportée d'abord à Sarrebruck, elle est ensuite internée à Ravensbrück sous le numéro matricule 42203. Communiste convaincue elle garde dans sa poche son insigne de jeune communiste durant toute sa détention. Elle sait que pour cela elle risque la pendaison. Mais elle n'en a cure.
Elle fait montre d'un comportement exemplaire en n'hésitant pas, par exemple, à se priver d'une part de ses maigres rations pour les donner à ses jeunes codétenues. Elle veille aussi à leur soutien physique et moral en les entraînant à faire de la gymnastique.

Raymonde est affectée à une usine de guerre à Leipzig. Bravant le danger - elle risque la mort si elle se fait prendre - elle organise au sein de l'usine le sabotage de la fabrication des douilles d'obus.

En avril 1945, malgré son état physique - elle ne pèse plus que trente-cinq kilos - elle réussit à s'évader lors d'une marche de la mort (5).

Elle arrive à Marseille où elle apprend que Charles est mort d'épuisement au printemps 1944.

Une des premières à siéger au Parlement

La paix revenue Raymonde devient employée à l'Union Départementale de la CGT des Bouches du Rhône. Elle est nommée responsable de la Commission Féminine et en septembre 1945 elle est élue Conseillère Générale du sixième canton de Marseille, puis Députée. Elle le restera jusqu'en 1951. Elle fait partie des 33 premières femmes élues à l'Assemblée Constituante au moment où les femmes venaient d'obtenir le droit de vote.

Elle dira : «On était émues. Les femmes étaient reconnues comme des citoyennes, en tenant compte de leur travail dans la Résistance... Nous étions de partis différents. Mais toutes nous nous disions: enfin! » (6).

Cette année-là elle épouse Charles Tillon, grand résistant, membre du PCF, plusieurs fois ministre entre septembre 44 et mai 47.

En 1952 Charles Tillon est exclu de la Direction du Parti Communiste au prétexte, sans doute fallacieux, de « fractionnisme ». Raymonde, qui soutient son mari, est évincée des listes communistes d'élus.

livretillonLe couple se retire à Montjustin dans les Alpes de Haute Provence. Charles écrit plusieurs ouvrages (7). Raymonde consacre une partie de son temps à dactylographier les manuscrits de son mari.

En 1970 le couple est exclu du Parti Communiste pour sa prise de position contre l'intervention soviétique en Tchécoslovaquie. Charles Tillon meurt en 1993.

Retirée en Bretagne, dans la maison familiale de la Bouexière ou à Nantes près de ses enfants et petits-enfants, Raymonde Tillon put fêter ses cent ans en octobre 2015. Elle s'est éteinte à Paris le 17 juillet dernier, loin de la terre natale de ses deux maris au sujet de laquelle Charles Tillon écrivait, il y a quarante ans : « En Bretagne, la terre, la mer et la chanson du vent parlent toujours de liberté. »

Raymonde Nedelec-Tillon était décorée de la Médaille Militaire, de la Croix de Guerre 39/45. Elle était Chevalier de la Légion d'Honneur.

Philippe KLEIN

Notes :

1 - L'UJFF est l'organe féminin de la Fédération des Jeunes Communistes de France. Créé en 1936 il a été dissout en 1974.

2 - C'est une fédération omnisports créée en 1934 par fusion de la Fédération sportive du travail proche de la Section française de l'internationale communiste.

3 - Confédération Générale du Travail Unitaire ayant existé entre 1921 et 1936

4 - La section spéciale est un tribunal d'exception mis en place par une loi parue au journal officiel le 23 août 1941, dont l'activité viole plusieurs règles de droit : absence d'énonciation des motifs, aucun recours ni pourvoi, rétroactivité : la loi réprime même les activités antérieures à sa promulgation ce qui est le cas, entre autres, pour Raymonde Tillon.

5 - On appelle marches de la mort des convois de prisonniers où les gardiens font avancer les prisonniers au mépris de la vie de ces derniers, voire en vue de leur extermination. Les marches de la mort les plus célèbres eurent lieu pendant le Génocide arménien et la Seconde Guerre mondiale.

6 - Témoignage à l' AFP en 2005

7 -  Dont : Les FTP - Julliard, Paris, 1962 ; La révolte vient de loin- Paris, 1969 ; Un « procès de Moscou » à Paris- Seuil, Paris, 1971 ; On chantait rouge - Robert Laffont, Paris, 1977 ; Le laboureur et la République - Fayard, Paris, 1983 ; Les FTP soldats sans uniforme - Ouest France, 1991.

Sources : les sites Wikipédia et Révolution, jeunesse du monde ; L'Humanité ; Les éloges funèbres prononcés le 25 juillet 2016 par Charles-Louis Foulon et Jean-Yves Le Drian.