A Douarnenez, on connaît la rue Joséphine Pencalet ; dans la commune de Pont-de-Buis, il y a le square Suzanne Ploux.

Pourquoi ces deux Finistériennes ont-elles été honorées par leurs municipalités respectives ?

Leurs parcours sont très éloignés l'un de l'autre : dans le milieu ouvrier et maritime pour l'une ; dans un milieu plutôt bourgeois pour l'autre. Mais tous deux ont été marqués à la fois par un passage en politique à des époques où les femmes ne s'y bousculaient pas, et par des expériences finalement douloureuses.

Elles sont les héroïnes des deux premiers documentaires de 26 minutes, réalisés par Anne Gouérou pour l'association Beo, sur le thème des femmes en politique en Bretagne.

 Gouerou

 

En français, Beo peut se traduire par « vivant ». L'association qui porte ce nom s'est donné pour objectif de produire des documents audiovisuels pour mettre en évidence la mémoire vivante et populaire de la Bretagne notamment dans les domaines du patrimoine culturel et de la linguistique. A l'occasion du 70ème anniversaire du scrutin du 29 avril 1945 au cours duquel les Françaises ont pu voter pour la première fois, Beo a produit deux documentaires sur ces femmes pionnières qui se sont risquées au suffrage électoral.

« Le choix s'imposait pour Joséphine Pencalet puisqu'elle est la première femme élue en Bretagne et l'une des très rares élues en France en 1925 » raconte la réalisatrice et journaliste Anne Gouérou.

Joséphine Pencalet, première femme élue en Bretagne

A l'époque, les femmes ne sont ni éligibles ni électrices. Mais les débats font rage en France où durant la guerre de 1914/1918, elles ont largement pris leur place. L'assemblée nationale s'est déjà prononcée en faveur du droit de vote pour les femmes ; le Sénat, lui, continue à résister. Le Parti Communiste décide donc de forcer un peu le destin en présentant des femmes sur ses listes dans une dizaine de villes en France à l'occasion des élections municipales de 1925, sachant pertinemment que si des femmes sont élues, elles verront leur élection invalidée très rapidement.

PencaletLa difficulté est donc de trouver des femmes qui acceptent de jouer le jeu. Joséphine Pencalet semble toute désignée dans cette municipalité déjà communiste qui vient de connaître une grève longue et exemplaire des Penn-Sardin, ces ouvrières des conserveries maritimes où travaille la jeune femme. « Elle a participé à la grève – explique Anne Gouérou – même si ce n'est pas une des meneuses. Mais elle a une particularité, c'est qu'elle est veuve et donc, n'a pas de mari qui pourrait l'empêcher de se présenter. » Et voilà Joséphine Pencalet, mère de deux jeunes enfants, qui n'a jamais eu d'ambition politique mais n'a jamais caché non plus ses convictions, qui se retrouve élue conseillère municipale.

Dans le documentaire ce sont entre autres deux femmes, sa petite-fille Hélène Pors et son arrière-petite-fille, Annaïg Pors, qui témoignent de cette mémoire familiale. Après avoir siégé durant environ six mois au conseil municipal, Joséphine Pencalet rentre chez elle sans aucune reconnaissance de ceux qui l'avaient poussée en politique comme si finalement, les choses lui avaient « un peu échappé ». En novembre 1925, le conseil d'état invalide son élection au motif qu'elle est une femme et elle cesse de participer aux délibérations du conseil municipal. Certes, elle savait que l'histoire se terminerait ainsi mais cette fin est difficile à vivre pour elle. « Il n 'y a pas eu une seule plainte du Parti Communiste local, pas un seul tract, pas un seul article ni dans la presse locale ni dans l'Humanité, alors que son élection, par contre, avait été bien médiatisée ! » rappelle Anne Gouerou se référant à l'historienne Fanny Bugnon qu'elle a interviewée pour son documentaire.

Du jour au lendemain, Joséphine retourne à l'anonymat de sa vie d'ouvrière, proche des siens, proches des gens, ayant gardé intactes toutes ses convictions politiques et sociales mais pleine d'amertume pour ce système qui finalement l'a utilisée. Ce qu'elle en transmet à ses enfants puis à ses petits-enfants, se résume ainsi : n'allez pas voter car tout cela n'est que manipulation ! Sa petite-fille qui n'avait que deux ans quand son aïeule est morte en 1972 est elle aussi héritière de cette histoire. Elle reconnaît aujourd'hui qu'en dépit de cette « culture » familiale, elle a « toujours penser que voter était important et qu'on ne pouvait pas laisser les autres choisir à notre place. »

Suzanne Ploux, fondatrice de Pont-de-Buis

Le choix de Suzanne Ploux répond à d'autres critères pour la documentariste. « Je recherchais une femme élue maire en 1945 – dit Anne Gouérou – et elles n'étaient pas si nombreuses ! J'ai trouvé assez rapidement Suzanne Ploux qui a eu une carrière politique importante puisqu'elle a ensuite été conseillère générale, députée puis secrétaire d'état. » Une femme qui a laissé des traces dans le Finistère puisqu'on lui doit notamment la création de la commune de Pont-de-Buis autour de la poudrerie dont son propre mari était alors directeur. « J'ai pu constaté sur le terrain que sa notoriété et son image sont encore très fortes – dit Anne Gouérou – les implantations industrielles, l'école, la maison de retraite... tout ça c'est son bilan et je voulais aussi le mettre en lumière. »

PlouxPour raconter ce parcours assez exceptionnel pour l'époque, ce sont quatre de ses sept enfants qui ont accepté de témoigner devant la caméra d'Anne Gouérou. Des enfants qui se souviennent d'une femme à la volonté exemplaire, peut-être pensent-ils parce qu'elle a été empêchée de faire les études supérieures dont elle rêvait. Une femme qui travaille beaucoup, passe moins de temps avec sa famille mais reste très proches de ses électeurs.

Quand en 1973, neuf mois après sa nomination, elle perd son poste de secrétaire d'état en plein voyage officiel au bout du monde, la déception est difficile à dépasser. D'autant plus que son poste de députée, occupé par son suppléant, ne lui est pas rendu et que les promesses faites par le gouvernement de lui trouver un autre poste, ne sont pas suivies d'effet. « Suzanne Ploux vit une rupture brutale à titre personnel – commente Anne Gouérou - Elle ne demande pas à son suppléant de lui rendre son poste de députée. Il y a quelque chose qui l'en empêche et qui n'aurait sans doute pas empêché un homme ! Elle ne lui demande pas parce qu'elle pense qu'il va le faire expliquent ses enfants... Mais, il ne le fait pas. C'est quelque chose qui peut nous interpeller, nous, les femmes ! »

Ce que l'Histoire nous dit pour aujourd'hui

« L'Histoire nous apprend à tous et à toutes – analyse Anne Gouérou – Ça nous apporte un éclairage sur ce long cheminement dont nous sommes tous issus, hommes et femmes, et sur la place que nous avons dans la société. Les choses avancent, mais ces deux exemples nous montrent qu'il a fallu des caractères volontaires et des femmes courageuses ; qu'il faut des politiques courageuses aussi, comme celle de la parité, par exemple ! »

Joséphine Pencalet était veuve et se présenter aux élections, c'était dit Anne Gouérou « son courage à elle ! » Suzanne Ploux, elle, avait un mari dont la personnalité aussi fut très importante dans la réussite politique de sa femme. « C'est un homme moderne – dit la réalisatrice – qui « laisse » sa femme s'engager dans cette carrière politique mais qui accepte aussi de compenser sur le plan familial. » Ils ont sept enfants dont trois nés après la première élection de Suzanne. Un des fils raconte que c'est son père qui « fait les courses et prépare à manger ».

« On voit bien que le partage des tâches dans un couple est une condition sine qua non de l'investissement des femmes dans une carrière qu'elle soit politique ou professionnelle. Et c'est aussi quelque chose qui doit parler aux hommes et aux femmes d'aujourd'hui » en conclut Anne Gouérou.

Geneviève ROY

Pour aller plus loin :

Les documentaires « Joséphine Pencalet, une pionnière » et « Suzanne Ploux, une bâtisseuse » pouvaient être visionnés sur le site de l'association Beo durant la journée du 29 avril pour une diffusion « éphémère et événementielle ». Ils sont désormais disponibles pour des diffusions sur des chaînes de télévision mais aussi dans le milieu éducatif ou associatif et sont inscrits pour la sélection du festival de Douarnenez en août prochain et du Mois du Doc en novembre.

Anne Gouérou a le projet de prolonger cette recherche historique par de nouveaux documentaires remontant ainsi le cours de l'histoire jusqu'à la fin des années 90. La réalisatrice a le souhait d'incarner chaque nouveau portrait dans une époque. « J'espère continuer – dit-elle – dans les années 60 autour de la révolution agricole ; puis le début des années 70 et les débuts du féminisme pour finir à la fin des années 90 dans une grande ville de Bretagne. »