Jessie

Alors que redémarre ces jours-ci la troisième saison des Chouettes Conférences qu'elle présente aux Champs Libres à Rennes, Jessie Magana multiplie les projets.

Quand elle dialogue sur scène avec Vincent Grison ou Isabelle Autissier, quand elle écrit ou qu'elle intervient en milieu scolaire, c'est toujours le désir de transmettre qui l'anime. Pas étonnant qu'elle ait choisi principalement le public des enfants et des adolescent.e.s.

Passionnée par la lecture dès le plus jeune âge, c'est en pensant à ce qu'elle aurait aimé lire quand elle était enfant qu'elle peaufine documentaires, fictions, romans ou albums qui s'alignent désormais dans tous les rayons de littérature jeunesse.

En septembre dernier, elle ouvrait pour nous la saison 2 de Femmes en Chemin.

 

Jessie Magana est une autrice engagée. C'est aussi tout simplement une femme engagée que l'on croise dans les manifestations féministes aussi souvent que lors des rassemblements pour la défense des réfugié.e.s. Ses convictions semblent la porter quand elle signe un abécédaire sur le sexisme comme quand elle organise une vente de dessins au profit des sans papiers. Et c'est avec beaucoup d'humour qu'elle avoue que ce n'était pas gagné au départ.

« Je ne viens pas du tout d'une famille militante, c'est même plutôt l'opposé » s'amuse-t-elle aujourd'hui situant ses premiers engagements au chapitre des « révoltes personnelles ». Peut-être, glisse-t-elle, que ça remonte à l'époque où elle-même pouvait souffrir de discriminations en tant que fille et plus encore en tant que fille d'un père rapatrié d'Algérie dans « une région montagnarde pas toujours très ouverte d'esprit » où elle se fait fréquemment « traitée de sale arabe ! »

 

« L'écriture est aussi

un moyen de lutter

contre les injustices »

 

Une force de caractère sans doute, et une grande curiosité nourrie par ses lectures feront d'elle ce qu'elle est devenue, une jeune femme forte et déterminée. « La lecture m'a sauvée » dit-elle encore évoquant cette petite fille qui « dévore les livres depuis l'âge de cinq ans ». Des livres, et quelques enseignant.e.s, qui petit à petit inscriront en elle la passion des idées, de l'Histoire, de la politique. Viendra ensuite le temps de l'adolescence et les premières manifestations avec les copains et les copines, le journal du lycée qu'elle anime et la prise de conscience de la place des femmes dans sa famille.

« C'est ça mon histoire familiale – décrit-elle – des femmes qui revendiquent une espèce de féminité forte, qui assument plein de choses mais qui ne remettent pas en cause le patriarcat dans lequel elles vivent ! »

« J'ai très vite compris le pouvoir des mots » analyse Jessie Magana qui en fait son arme. « Je ne me sentais pas prête pour l'action directe ni pour m'engager en politique ou militer dans un syndicat ; j'avais trop d'indépendance d'esprit mais j'ai compris que l'écriture est aussi un moyen de lutter contre les injustices. » La jeune femme mettra encore du temps avant d'envisager d'écrire elle-même.

Elle devient d'abord éditrice après des études de lettres et publie les textes des autres. Et puis, « l'âge venant et la confiance en soi arrivant » elle ose écrire ses propres récits. Et c'est avec des textes déjà très engagés qu'elle se lance : une biographie du général de Bollardière, seul général français ayant refusé la torture durant la guerre d'Algérie, puis un livre sur Gisèle Halimi qui dit non au viol.

 

«  Je réveille la jeune fille que j'étais

qui passait sa vie à lire

sur son radiateur »

 

Les dés sont lancés. Jessie enchaînera pendant des années les livres convictions à destination d'un public souvent jeune. Racisme, sexisme, lutte contre les discriminations mais aussi des livres qui n'ont pas l'air d'y toucher. Quand elle écrit l'histoire d'une rue c'est pour mieux décrire l'évolution des populations notamment au travers des migrations ; quand elle signe un atlas c'est pour permettre de faire cohabiter le sacre de Napoléon et la révolte des esclaves en Haïti.

Et quand elle raconte une histoire d'adolescent.e.s c'est avec des personnages non stéréotypés de fille battante et sportive et de garçon sensible et poète. « C'est aussi un moyen de lutter contre les stéréotypes de genre de construire des personnages nuancés - défend-elle – ou de réinventer la manière d'écrire les scènes d'amour en proposant des modèles avec du consentement, de l'échange. En tant qu'adulte j'ai aussi la responsabilité de proposer des alternatives en termes de relation à la sensualité, à la sexualité » qui donnent aux ados une autre image que la dark romance à la mode.

Jessie1Quand Jessie Magana se lance dans un nouveau projet, c'est toujours avec en tête l'adolescente qu'elle fut. « Je réveille la jeune fille que j'étais qui passait sa vie à lire sur son radiateur et je me demande ce que moi j'aurais aimé lire à ce moment-là ». La littérature jeunesse n'existe pas encore, alors elle lit les classiques, Balzac, Zola. Aujourd'hui, elle qui a fait de Annie Ernaux une de ses principales références littéraires se dit qu'elle aurait aimé la lire à quinze ans !

 

« A l'adolescence,

le temps de lecture est grignoté »

 

En tant qu'autrice jeunesse, Jessie Magana sait qu'elle a un concurrent féroce au fond des poches des ados : le téléphone portable ! A partir de la classe de 6ème, elle en est consciente, les jeunes lisent de moins en moins. « Les grandes lectrices continuent à lire – dit-elle – mais les garçons, on les perd. Même les grands lecteurs lisent moins ou alors se contentent de mangas. Pour toutes et tous, le temps de lecture est grignoté ».

Elle ne s'inquiète pas trop car elle pense que « ça reviendra » et compte beaucoup sur sa présence régulièrement dans les établissements scolaires. « Je crois beaucoup aux livres vivants » dit-elle suggérant qu'il faudrait inciter davantage les enseignant.e.s à inviter auteurs et autrices dans les classes. « Il faut du temps, il faut sortir des programmes » mais quand on laisse un peu de place à l'écriture les enfants et les adolescent.e.s, même ceux et celles qui lisent peu, parviennent à produire « des textes souvent géniaux ! »

Jessie Magana dit avoir « toujours détesté être dans des cases ». Côté engagement elle a beaucoup donné et cherche un peu à « se détacher » de ça. Y parviendra-t-elle ? Pas sûr. Son dernier album inspiré d'un conte kabyle, sorti voilà quelques jours, met en lumière une héroïne, Tadellala, bien déterminée à sauvegarder sa liberté et son indépendance.

Geneviève ROY

Pour aller plus loin : retrouver tous les livres de Jessie Magana en librairie et la rejoindre pour les Chouettes Conférences des Champs Libres les mercredis 25 octobre avec Vincent Grison (sur l’arctique), 28 février avec Hadda Guerchouche (sur le sport) et 24 avril avec Christophe Galfard (sur l'univers)