Charlotte

Elle ne sait plus exactement elle-même laquelle est arrivée en premier entre son envie d'être comédienne et celle de devenir animatrice socio-culturelle.

Alors, Charlotte Baheu a fait les deux, tour à tour ou en même temps.

Puis, avec sa compagnie Les Bottes Rouges, elle s'est posée dans ce métier du théâtre d'improvisation qui lui va si bien. Consciente que finalement, le plus important pour elle c'est de relayer la parole des personnes qui ne l'ont pas souvent, principalement les femmes...

Au départ de la compagnie il y a une chanson des Wampas qui autrefois a beaucoup marquée Charlotte Baheu ; l'histoire de ce petit garçon fier de ses bottes rouges mais dont tout le monde se moque. Cette histoire de différence que Charlotte aime bien avec ses questions qui paraissent naïves mais ne le sont pas tant que ça. Le nom qu'elle a choisi pour sa compagnie parle aussi d'une couleur qui au moment de la création des Bottes Rouges en 2018 comptait beaucoup pour elle.

Elle est comme ça, Charlotte, elle donne du sens à toutes les petites choses de la vie. A toutes les « petites voix » aussi qu'elle aime écouter. Après une vingtaine d'années d'expérience comme co-directrice artistique d'une compagnie de théâtre, elle a voulu un jour développer son propre projet, « repartir de [son] désir et préciser [sa] propre identité artistique ».

« L'improvisation, ça ne s'improvise pas ! »

« Je viens de l'éducation populaire – raconte la jeune femme – j'ai une formation d'animatrice socio-culturelle, donc je crois que ça fait partie de mon ADN ce besoin de donner la parole à des gens qui n'en ont pas la possibilité ou pas la légitimité. Il faut savoir écouter les petites voix, surtout celles qui pensent n'avoir rien d'intéressant à raconter ».

Elle, elle sait découvrir en chacun.e la pépite qui fera sens pour d'autres. « Je n'aime pas trop l'injonction – dit-elle - Je trouve ça assez violent de savoir ce qui est bien pour les autres, ça me dérange. Je préfère l'idée d'ouvrir une porte car pour être libres de décider si on a des choses à dire, encore faut-il avoir les outils et les moyens de le faire ! » Alors Charlotte utilise tout ce qu'elle a appris dans sa première vie d'animatrice pour le mettre au service du théâtre. Car aime-t-elle répéter « l'improvisation, ça ne s'improvise pas ! »

LogobottesComme pour une improvisation de jazz, il faut connaître ses gammes, maîtriser son instrument, savoir écouter et rejoindre le rythme du collectif. C'est ce qu'elle s'emploie à faire dans des ateliers à destination des plus jeunes en milieu scolaire jusqu'aux adultes qui se rappellent avoir toujours voulu se retrouver sur scène. Avant d'en arriver là, il faut pouvoir se dire puis écrire, apprendre à incarner des sentiments, des personnages... Rien n'est laissé au hasard.

Il fut une époque où Charlotte Baheu était complexée. Elle ne se sentait pas vraiment comédienne. Désormais, elle sait que ses choix étaient les bons. C'est parce que le théâtre d'improvisation est « quelque chose de populaire » qu'elle s'y sent bien, à sa juste place.

« Les hommes venaient vers nous assez spontanément (...)
les femmes de ces hommes 

restaient toujours un peu en retrait »

Avant d'écrire ses spectacles, elle prend le temps d'aller à la rencontre des gens, de collecter leurs paroles. Avec sa complice Catherine Bossard, avec laquelle elle travaille depuis « une petite dizaine d'années », elle se souvient de ce jour d'automne où elles participaient aux journées européennes du patrimoine et cherchaient à collecter les paroles des habitant.e.s d'un village. « Les hommes venaient vers nous assez spontanément pour nous raconter l'histoire des bâtiments et les femmes de ces hommes restaient toujours un peu en retrait, opinaient de la tête timidement - raconte-t-elle aujourd'hui – On savait que ces femmes avaient aussi plein de trucs à dire et on avait envie de les entendre ».

Une envie qui rejoint celle de Fanny Dufour qui pour la troisième édition des Visibles, avec les Nouvelles Oratrices, souhaite donner la parole aux femmes seniors. Alors au mois d'avril prochain, Charlotte et Catherine seront sur scène pour dire les mots de ces femmes qu'on n'entend que trop rarement.

Pour l'instant, détaille Charlotte, « on écoute ces femmes et on récolte la matière pour en faire un objet théâtral et sensible. Dans ce qu'elles nous disent, on cherche ce qui est commun et peut aussi faire du commun avec le public. On fait des choix, on coupe, on taille mais sans être jamais infidèles à leurs propos parce que ça raconte plein de choses des femmes en général ». Ce qu'elles disent d'elles, pense Charlotte, dit aussi beaucoup du regard qu'elles portent sur la société d'aujourd'hui et « comment leur jeunesse a impliqué des changements » pour les femmes du 21ème siècle.

« On n'est pas des donneurs de leçons ;
nous aussi, il nous arrive de faire des choses pas très bien »

Cette place des femmes dans la société, Charlotte prend conscience aujourd'hui, en écoutant ces femmes engagées depuis longtemps, qu'elle a toujours été présente dans son travail. « J'ai eu la chance – reconnaît-elle – d'avoir des grands-parents et des parents qui ont toujours considéré que j'étais capable de faire de la mécanique, que j'étais capable de bricoler, de tenir une perceuse et que j'avais des choses à dire. Et au cours de ma carrière, les inégalités notamment dans le monde du travail m'ont toujours mise en colère ».

Pas étonnant du coup si elle s'est lancée avec enthousiasme l'an dernier quand on lui a proposé de travailler sur les inégalités au sein de l'université. Elle a alors mené des entretiens pour récolter des paroles et des faits auprès d'étudiant.e.s et membres du personnel de Rennes 1, fait un travail de recherche pour rassembler des chiffres et en a écrit un spectacle qu'elle présente ce mois-ci avec trois autres comédien.ne.s au Diapason. « On n'est pas des donneurs de leçons – se défend-elle – nous aussi, il nous arrive de faire des choses pas très bien, l'idée c'est juste de pouvoir réfléchir avec le public et se dire ensemble : maintenant qu'on sait tout ça, comment on fait, quels sont les leviers pour agir ? »

Derrière le théâtre, encore et toujours l'éducation populaire qui pointe son nez. « La pratique n'est plus la même – analyse Charlotte Baheu – mais j'ai gardé tous mes outils dans ma valise et ils me servent presque chaque jour. L'éducation populaire et la question de l'émancipation ça arrive toujours en filigrane dans mon travail. »

Geneviève ROY

Photo 1 : @Marie Le Mauff

Pour aller plus loin :

Tous.tes pareil.le.s au Diapason, campus Beaulieu, le jeudi 14 mars à 20h30 – spectacle suivi d'un échange avec le public

Visibles – événement organisé par les Nouvelles Oratrices, le 9 avril à 20h à l'Antipode