Les hormones mâles font-elles les garçons et les hormones femelles les filles ? Le cerveau change-t-il à la puberté ? La puberté et l'adolescence, est-ce la même chose ? Les filles ont-elles aujourd'hui une puberté plus précoce que leurs mères et grands-mères ?

Ces questions, et bien d'autres, le professeur Jean-Pierre Bourguignon, pédiatre belge, a tenté d'y répondre à l'invitation de l'Espace des Sciences de Rennes, à l'occasion d'une rencontre intitulée : "La puberté, le grand chambardement de la tête aux pieds."

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La réalité de cette période de la vie est complexe mais pas aussi « caricaturale » qu'on le croit a-t-il déclaré  ; et d'ailleurs « sait-on que les garçons ET les filles ont les hormones des deux sexes » ?

 

Jean-Pierre Bourguignon est pédiatre et endocrinologue au CHU de Liège, en Belgique. Dans son cabinet, depuis plusieurs dizaines d'années, il reçoit en consultation des adolescent-e-s dont le corps, mais aussi le cerveau et donc les comportements, subissent les changements propres à la période pubertaire. « La puberté est associé aux organes sexuels et c'est effectivement ce qui change de la manière la plus évidente – explique-t-il – chez les garçons, ce sont les testicules et le pénis qui se développent ; chez les filles, ce sont les ovaires et l'utérus qui se développent à l'intérieur du corps et bien sûr les seins qui apparaissent. »

Un cerveau qui ne sait pas faire face aux émotions

Des troubles corporels, visibles ou non, qui sont en fait, initiés par un « chef d'orchestre » situé dans le cerveau : l'hypophyse. Cherchant à être accessible à un public de non professionnel-le-s, Jean-Pierre Bourguignon fait défiler les diapositives. « J'ai longtemps cru, comme tous les scientifiques que le cerveau se développait surtout chez le très jeune enfant et qu'à l'adolescence il ne s'y passait plus grand chose » explique-t-il.

jpbourguignonAujourd'hui, les connaissances ont un peu évolué et on peut dire par exemple, que les hormones sexuelles ont aussi des répercussions sur le cerveau qui « perd des moyens à la puberté au moment où la reproduction, elle, en gagne de manière considérable. » Une façon aussi pour le médecin belge de mieux comprendre l'hyper émotivité des adolescent-e-s. « Les zones de l'émotion dans le cerveau changent beaucoup plus tôt que celles qui régulent le comportement et notamment le comportement social » dit-il encore pour expliquer les « comportements éruptifs » de certains adolescent-e-s et le déséquilibre entre des émotions « lâchées » et un cerveau qui n'a pas encore appris à les contrôler.

Une puberté courte, une adolescence prolongée

« Le garçon pour son entourage entre en puberté en cachette mais il commence l'adolescence en fanfare, alors que la fille fait le contraire » s'amuse le docteur Bourguignon. Une façon à la fois de dire que puberté et adolescence, ce n'est pas la même chose et que les garçons et les filles vivent cette période de leur vie de manière différente. « Pour lui, c'est d'abord ce que j'ai envie d'être – dit-il aussi – alors que pour elle, c'est davantage, ce que j'ai peur d'être ! »

Si les deux étapes se situent bien en parallèle, la puberté se mesure aux changements du corps ; on évoquera les caractères sexuels : pilosité, organes reproducteurs, seins, croissance, etc. Elle dure en moyenne trois ans. L'adolescence, elle, se passe plutôt dans la tête et est très liée à la société dans laquelle grandissent les enfants. A titre d'exemple, Jean-Pierre Bourguignon cite les sociétés africaines où les jeunes filles connaissent une période adolescente très réduite entre l'âge des premières règles et la naissance du premier enfant, contrairement aux sociétés occidentales où, dit-il, l'adolescence « n'en finit pas » !

Des constats que le pédiatre résume ainsi : « la puberté, c'est le corps qui devient capable de se reproduire ; l'adolescence, c'est le cerveau qui devient capable de décider quand se reproduire. » On comprend aisément que les deux ne coïncident pas toujours tout à fait. D'autant plus qu'il faut prendre en compte les pubertés précoces et tardives.

Un âge des premières règles stabilisé

Grâce aux statistiques des pays scandinaves, on sait que entre 1850 et 1950, l'âge des premières règles est passé de 17 à 13 ans, soit une variation de quatre ans en un siècle. Or, depuis 1950, c'est-à-dire en cinquante ans, le changement n'a plus été que de six mois. Une progression beaucoup plus lente, donc, que l'on pourrait mettre en corrélation avec des changements d'habitudes alimentaires et notamment des apports plus riches en calories. Mais, ce n'est sans doute qu'une partie de l'explication.

En tout cas, depuis les années 2000, il semblerait que les choses soient à nouveau en train de se modifier. L'âge de l'apparition des seins aurait avancé d'un an en quinze ans, alors que l'âge des premières règles reste stable vers les treize ans. Le même processus est observé chez les garçons. En Belgique, 8% des garçons et 5% des filles présentent des signes de puberté précoces dès l'âge de neuf ans pour les premiers et de huit ans pour les secondes. Des chiffres tout à fait comparables sans doute aux chiffres français, moins connus. En parallèle, la fin de la puberté est en moyenne retardée ; ce qui fait dire au docteur Bourguignon : « on commence plus tôt et on termine plus tard ! »

Une puberté avancée voire précoce

Quand on parle de puberté précoce, il s'agit bien, rappelle le spécialiste, d'enfants de moins de 8/9 ans. En effet, même si l'âge moyen de la puberté reste compris entre 13 et 15 ans, on parlera plutôt de puberté avancée pour les autres, compris entre 9 et 13 ans. Une puberté avancée qui concerne entre 5 et 10% des enfants et n'est pas non plus sans conséquences à cet âge. Un enjeu d'éducation, selon le docteur Bourguignon, notamment en termes d'éducation à la sexualité. Il faut savoir aussi qu'il existe des traitements efficaces et réversibles qui permettent de reporter de quelques années une puberté qui s'annoncerait trop tôt.

Quelles raisons peuvent expliquer les pubertés précoces ? Sur ce sujet, la science a encore des progrès à faire, mais déjà quelques pistes sont analysées. L'apport de calories est notamment un facteur à prendre en compte mais qui sème le trouble quand on constate que « grossir trop peu avant la naissance avance la puberté, mais grossir trop durant la première année de vie avance aussi la puberté. » Ce qui est bien connu par contre c'est qu'un déficit d'apports caloriques chez les filles à l'approche de la puberté a des effets retardateurs sur l'âge des premières règles.

Un dérèglement dû aux perturbateurs endocriniens ?

Endocrinologue, le professeur Bourguignon soupçonne aussi les perturbateurs endocriniens d'avoir leur part de responsabilité dans ces dérèglements hormonaux. « Ce sont des produits extrêmement nombreux d'usage domestique que vous et moi utilisons chaque jour - décrit-il avant de lister – des produits cosmétiques, des produits d'entretien, certains récipients, les désodorisants d'intérieur, les retardateurs de flamme présents dans les vêtements, des produits agricoles dont les pesticides et des produits liés au fonctionnement industriel. »

A l'analyse, ces produits semblent aussi bien retarder qu'avancer la puberté, mais ils ne sont pas neutres. Les éliminer semble tout à fait impossible vu leur nombre et leur variété que chacun et chacune ingère de façon insidieuse parfois en très petite quantité, parfois même durant la vie intra-utérine.

A noter, également, que quelle que soit leur poids dans les mécanismes hormonaux, les perturbateurs endocriniens ne sont de toute façon pas seuls à jouer un rôle. Des études ont montré que « 70% du timing pubertaire est déterminé par des facteurs génétiques et 30% par des facteurs d'environnement. »

La puberté, une histoire d'hormones, certes, mais pas que. Et surtout pas une histoire avec d'un côté la testostérone et de l'autre les oestrogènes. Car si l'une marque le masculin quand les autres annoncent le féminin, il faut bien savoir que ces deux hormones sont présentes à la fois chez l'individu mâle et l'individue femelle. C'est juste une question de quantité et d'équilibre entre les deux qui fera le reste. Un constat qui suscite une question non dénuée d'intérêt lors de l'échange avec le public : ne devrait-on pas dire un peu plus aux garçons qu'eux aussi produisent des oestrogènes dans leur organisme et que les filles ont également de la testostérone ?

Geneviève ROY

Pour aller plus loin :

Ecouter : l'enregistrement audio de la conférence « La puberté, le grand chambardement de la tête aux pieds » sur le site de l'Espace des Sciences

Lire : la puberté précoce chez les filles, un phénomène de plus en plus fréquent notamment chez les enfants adoptées à l'international selon Jean-Pierre Bourguignon, en janvier 2012