Depuis cinq ans, à la tête de son entreprise, Magali Guirriec veut réconcilier les générations dans le monde du travail.

Si Yénéa a été pour elle une formidable opportunité de quitter le salariat et de mettre sa créativité au service des autres, c'est aujourd'hui pour de nombreuses entreprises le moyen d'aider à vivre les transitions professionnelles au cours d'une carrière mais aussi quand sonne l'heure de la retraite.

 

Le 15 juin, elle était la dernière invitée de "Femmes en Chemin" saison 1.

Magali

 

Plus de vingt ans dans les ressources humaines ont convaincu Magali Guirriec qu'elle avait sa carte à jouer pour faire évoluer les mentalités. Sur le marché de l'emploi comme au cœur même des entreprises, elle a fait le constat que deux catégories de professionnel.le.s sont discriminées à cause de leur âge : les moins de vingt-cinq ans et les plus de quarante-cinq ans. Pourtant, elle en est persuadée, la bonne marche d'une entreprise réside dans l'intergénérationnel.

C'est forte de toutes ces convictions qu'elle quitte la fonction publique pour créer Yénéa fin 2018. Une bouffée d'air frais pour celle qui se sent de plus en plus à l'étroit dans son travail. « J'avais pris conscience depuis quelques années que j'étais quelqu'un de très créatif – se souvient-elle aujourd'hui - mais ma créativité s'exprimait hors cadre. Chaque fois que j'avais un poste les missions qu'on me confiait ne me suffisaient pas, il fallait que j'en invente d'autres ! »

Cinq ans plus tard, si Magali parvient depuis peu à se dire « cheffe d'entreprise » c'est pense-t-elle parce qu'elle a manqué de modèles. La posture de cheffe « ne coule pas de source » pour une femme. « Le seul repère que j'avais dans ma famille – dit-elle – c'était ma grand-mère qui tenait un café-bar-alimentation à Brest pendant la guerre ! »

 

« Ce n'est plus le senior qui apprend au plus jeune,

c'est aussi parfois le plus jeune qui apprend à l'ancien. 

L'expertise est dans tous les sens »

 

Dans sa vie de salariée, Magali a connu trois licenciements économiques. Le premier à vingt-cinq ans, le deuxième cinq ans plus tard et le dernier encore cinq ans après. Si ces épreuves l'ont marquée, elles lui ont aussi donné la force de la résilience. Et l'envie d'accompagner les autres dans ces ruptures qui, dit-elle, sont désormais inévitables dans une vie professionnelle. Au travail, comme ailleurs, il faut atteindre très tôt et très vite une certaine agilité pour surfer sur les différentes vagues de transition imposées : transition économique, transition écologique, transition numérique voire transition sanitaire depuis la crise du covid.

« Le management est en train de se réinventer » prévient Magali qui regrette que trop longtemps on a oublié que l'employé n'est pas seulement un « être de travail ». « Il faut se recentrer sur l'humain – dit-elle - parce qu'un humain heureux est aussi plus productif ; il faut remettre de la communication dans les équipes et apprendre à valoriser les expertises ».

Magali1Et si l'expertise c'est longtemps calculée en nombre d'années d'expérience, là encore, ce n'est plus le cas aujourd'hui. « On est sur un autre schéma – explique Magali – ce n'est plus le senior qui apprend au plus jeune, c'est aussi parfois le plus jeune qui apprend à l'ancien. L'expertise est dans tous les sens et pas seulement en mode descendant ! Les techniques évoluent et les jeunes en savent souvent plus que les plus vieux mais ils ont autre chose à apprendre notamment les codes de l'entreprise ; chacun a sa place ! »

Dans les entreprises, les relations ont changé au détriment parfois d'une juste reconnaissance de la valeur des un.e.s et des autres. Magali est là pour remettre du lien et rappeler que contrairement à l'idée véhiculée au début des années 2000, au-delà de quarante-cinq ans, on peut encore apporter beaucoup à son entreprise. « On a besoin – insiste Magali- de faire un travail sur la force de la différence qui est un atout. L'intergénération fait partie de la responsabilité sociétale des entreprises et de ce qu'on appelle l'inclusion au même titre que la diversité ou le handicap.»

 

« Certaines personnes, surtout les femmes,

n'ont jamais pris le temps de se demander

de quoi elles ont envie »

 

Le travail n'a plus la même place aujourd'hui dans nos vies. Cela peut certes déstabiliser les plus anciens, mais les jeunes ont désormais d'autres aspirations que la réussite professionnelle et semblent dire aux employeurs « considère-moi d'abord pour ce que je suis avant de me considérer pour ce que je fais ».

On peut en déduire qu'ils et elles sauront mieux trouver leur place dans une vie après le travail. Car aujourd'hui, au moment du départ en retraite des derniers.ères baby boomer, c'est aussi cet accompagnement-là que propose Magali. Au bord de la rupture parfois, notamment les femmes, ces personnes doivent jongler avec « les petits-enfants d'un côté, les parents de l'autre et leur job au milieu » On pourrait penser qu'ils et elles attendent la retraite avec impatience ; ce n'est pas toujours le cas.

« Certaines personnes ont été capables pendant des années de cultiver une sphère amicale, des loisirs, à côté de leur travail – décrit Magali – mais d'autres, surtout les femmes, ne vivent qu'à travers leurs enfants et leurs maris et n'ont jamais pris le temps de se demander qui elles sont vraiment et de quoi elles ont envie. Quand le travail s'arrête elles doivent affronter le vide et vivent la retraite comme une sorte de punition. » C'est désormais une préoccupation des entreprises qui font appel à Magali pour accompagner ces personnes dans la valorisation d'elles-mêmes et leur projection vers un futur de retraité.e.s. Elle aide, dit-elle, « les personnes qui ont des ressources et celles qui ne savaient même pas qu'elles en avaient ! Je ne suis qu'un miroir, je les guide. L'idée n'est pas de donner un modèle mais de rassurer sur sa capacité à passer le cap. »

Dans quelques années, croit savoir Magali, cet aspect de Yénéa n'existera plus. « Les nouvelles générations n'auront pas forcément besoin d'être préparées à la retraite – prédit-elle – elles auront déjà vécu des ruptures professionnelles et sauront mieux comment rebondir. » Yénéa aura encore de beaux jours devant elle ; Magali poursuivra ses accompagnements pour vivre au mieux les différentes étapes d'une vie professionnelle : intégration, reconversion, transmission des compétences... « un pied avec les juniors et un pied avec les seniors » ; dans son autre vie, Magali est aussi danseuse, le grand écart ne lui fait pas peur !

Geneviève ROY

Retrouvez nos "Femmes en Chemin" dès la rentrée au salon de thé culturel Références Electriques à Rennes, le 21 septembre : Jessie Magana ; le 19 octobre : Marwa Rochay ; le 16 novembre : Charline Olivier