Leur librairie s'appellera La Nuit des Temps. Un nom qu'elles ont choisi à deux parce que ce livre de Barjavel les avait « tellement marquées » qu'il leur semblait fédérateur.

« C'est un roman qui défend des valeurs qu'on a envie de mettre en avant » dit l'une ; et l'autre d'ajouter : « il évoque de bons souvenirs de lecture, et nous, c'est ça qu'on veut donner aux gens : des bons moments de lecture qui ensuite feront des bons souvenirs ! »

Dans quelques jours, Ayla Saura et Solveig Touzé deviendront deux figures incontournables de la vie culturelle rennaise pour celles et ceux qui partagent leur passion des livres. Leur objectif : proposer quelque chose de différent, un lieu « désacralisé » où l'on ne se sente pas obligé de parler à voix basse.

 

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« A aucun moment, on ne s'est découragées parce qu'on a la chance d'être deux ! » affirme Ayla tandis que Solveig insiste : « toute seule, ça aurait été trop dur ! » L'aventure, elles la vivent à deux depuis le début à tel point que leurs voix se confondent et que leurs phrases se répondent. « On vend de la culture, du rêve » commence l'une ; l'autre poursuit : « quelque chose qui touche à l'intime des gens » et la première de conclure dans un rire : « on ne vend pas du papier toilette ! »

« La vie ça fait du bruit, ça bouge, ça dérange »

On l'aura compris il s'agit d'une vraie complicité, d'une dynamique à deux voix renforcée on le devine par les aléas de la création d'un commerce : plus d'une année pour trouver un local adéquat, un parcours semé d'embûches dans les méandres de l'administration, beaucoup de patience aussi. « Ça a été l'attente le plus horrible et le fait qu'on dépende d'autres gens pour avancer » soufflent-elles à l'approche de l'ouverture de leur boutique.

Mais pour les deux jeunes femmes, l'important se situe désormais ailleurs. Leur rêve commun étant presque réalisé, elles attaquent l'étape suivante : la mise en place du concept de leur librairie, un endroit où il fera bon lire et vivre !

« Beaucoup de gens n'osent pas entrer dans une librairie parce que c'est souvent un endroit sacralisé » analysent les deux jeunes femmes qui disent vouloir faire de leur boutique « un lieu vivant, avec de la musique » parce que « la vie ça fait du bruit, ça bouge et ça dérange ! »

« On veut – disent-elles encore – que les gens s'y sentent bien, qu'ils aient envie de flâner, de rester un peu ; que se soit un lieu chaleureux, convivial ! » Elles imaginent déjà les apéros d'été, les brunchs de rentrée et les temps informels qui permettront l'échange avec les client-e-s et pourquoi pas avec des auteur-e-s. « C'est pas parce qu'on est un commerce culturel que toutes les animations doivent se passer comme la remise du prix Goncourt - plaisantent Ayla et Solveig – et puis, on n'a pas envie non plus de s'ennuyer ! »

« Une librairie généraliste avec une identité »

Leur magasin, les deux jeunes libraires le veulent à leur image. Passionné et engagé. Celles qui se définissent comme des « passeurs de culture » veulent une librairie généraliste mais « avec une identité ». Cette petite touche en plus qu'elles souhaitent apporter se déclinera en deux rayons autour de convictions qu'elles partagent et qu'elles veulent mettre en avant « pour donner une couleur » à la librairie : féminisme et culture LGBT d'une part, développement durable et écologie, d'autre part.

Des thématiques sur lesquelles Solveig et Ayla se disent « engagées personnellement ». La première pratique le Roller Derby et la seconde anime une page facebook féministe pour les « débutantes » ; toutes deux ont participé à Nantes à la création d'une antenne de Stop Harcèlement de Rue puis de Féministes Plurielles ; ensemble, elles croient en l'importance de l'éducation et de la pédagogie pour « faire avancer les choses de manière assez détendue », par « des chemins détournés, sans l'afficher forcément » mais en choisissant avec discernement les livres qu'elles mettront à l'honneur au rayon littérature comme aux rayons BD ou albums jeunesse.

A l'ouverture, La Nuit des Temps comptera 6000 références. Une volonté de la part des deux jeunes femmes d'ouvrir une librairie de taille moyenne, entre les grandes surfaces et les petites structures spécialisées. Elles y croient, à l'heure d'internet, elles qui pensent que le commerce de proximité retrouve l'engouement des consommateurs et que rien ne vaut le conseil direct, la relation « de confiance » ; elles misent sur l'accueil et la bienveillance.

 

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« On nous a beaucoup dit que nous étions trop jeunes »

Sur leurs expériences aussi. Si Ayla et Solveig n'ont respectivement que 27 et 26 ans, elles ont derrière elle une formation solide et quelques années de travail dans des structures variées où elles ont pu découvrir différentes pratiques professionnelles. Ayla décrit son parcours comme « un peu atypique » puisqu'elle s'est d'abord orientée vers l'hotellerie-restauration avant une reconversion ; Solveig, elle, savait toute petite quel métier elle voulait faire et s'est donné les moyens d'y parvenir. Toutes deux se sont connues à Nantes pendant leur apprentissage. Et rêvent à leur tour du jour où elles pourront former des apprenti-e-s parce qu'elles savent que « c'est important de transmettre et de partager sa passion ! »

Comme elles ont toutes les deux « la bougeotte », ce n'est qu'après de nombreux déplacements de Paris à Sète et de Toulouse à Vienne, qu'elles ont choisi de poser leurs valises à Rennes. Puis, le hasard du chômage leur a donné envie en janvier 2016 de réaliser ce rêve commun. Dans quelques jours, ce sera une réalité sur les quais de Rennes, quelque part face à la place Saint-Germain. « On ne nous a pas mis de bâtons dans les roues parce que nous étions des femmes – précisent-elles – mais on nous a beaucoup dit que nous étions trop jeunes ! »

On leur a aussi demandé si « elles avaient l'intention d'avoir des enfants bientôt » ou si « elles étaient soutenues financièrement par leurs conjoints ». Du « sexisme ordinaire » analysent-elles auquel elles ont su répondre « Je me débrouille, je suis une grande fille » a réagi notamment Ayla ou encore : « je ne suis pas une plante, je n'ai pas besoin de tuteur ! »

« Je m'autorise des livres doudous qui font du bien »

« On ne nous a jamais dit qu'on n'allait pas y arriver parce qu'on était des femmes – dit encore Solveig – c'était plus insidieux. Notamment quand on parlait de nos projets sur le féminisme ou la communauté LGBT ; on nous a même refusé des financements pour ça ! » Les deux femmes ne se laissent pas démonter ; elles se disent « bien entourées » personnellement et « bien suivies » professionnellement par la Boutique de Gestion où elles trouvent « des outils et une bonne écoute »

L'été est pour beaucoup d'entre nous l'occasion de lire davantage. Pour Ayla et Solveig, aussi. Il ne faudrait pas croire que celles qui revendiquent la lecture d'une « petite centaine d'ouvrages chacune par an » font une pause pendant leurs vacances. « J'ai beaucoup de mal à décrocher du boulot » avoue Solveig qui profite généralement de ses congés pour « prendre de l'avance sur la rentrée littéraire » tout en reconnaissant : « des fois on se dit : j'aimerais bien lire un livre que j'ai envie de lire, mais pas un livre qu'il faut avoir lu ! »

De son côté, Ayla estime avoir « trouvé la bonne formule ». « En vacances – dit-elle – je fais ce que je veux et je m'autorise quelques lectures doudous qui font du bien ! » Une façon de conserver la passion intacte et de garder le plaisir de la lecture. « Sinon – disent-elles – on devient des vendeurs de livres ». Apparemment, ce n'est pas vraiment leur ambition !

Geneviève ROY

Pour en savoir plus :
La Nuit des Temps ouvrira ses portes le 1er août. En attendant, ses créatrices concoctent les premières animations. Deux rendez-vous peuvent déjà être annoncés : le 26 septembre avec Miguel Bonnefoy pour son roman Sucre Noir (éditions Rivages) qui sortira à la rentrée ; le 25 octobre avec Caroline Laurent pour Et soudain, la liberté, un roman à quatre mains édité cet automne (éditions Les Escales)