Si vous êtes passé-e-s place de la Mairie à Rennes le 14 septembre dernier, vous avez peut-être remarqué un cortège particulièrement coloré. Ce jour-là Mireille et Florence célébraient leur mariage.

mireilleflo-aLe premier « mariage pour tous » célébré par Jocelyne Bougeard, adjointe déléguée aux droits des femmes. Si Mireille et Florence sont conscientes d'inscrire leur propre histoire dans le grande Histoire, cette cérémonie, programmée de toute façon que la loi soit votée ou non, était d'abord l'occasion pour elles de parler d'amour.

Mireille la bretonne, psychologue, et Florence, l'artiste du sud-ouest à l'accent qui chante nous livrent leur témoignage à deux voix.

Au début, il y avait l'envie de célébrer l'amour et puis la petite histoire s'est conjuguée avec la grande à la faveur du vote de la loi dite du « mariage pour tous ».

Mireille - On n'était pas dans une attente du mariage depuis longtemps ; on ne se connaît que depuis deux ans et demi. Quand on s'est rencontrées j'avais 48 ans, Florence en avait 52. C'est une rencontre très importante pour nous ; je dirais de manière modeste c'est un grand amour ! Et nous avons voulu le célébrer en organisant une rencontre avec nos ami-e-s, les gens qui nous aiment. Nous voulions nous engager et témoigner de notre amour. Et quand on a entendu parler du projet de loi, on s'est dit pourquoi pas réunir la petite histoire avec la grande ? On voulait aussi inscrire notre amour civilement ; une façon d'avoir une place dans la société. Pour moi, c'était important de m'inscrire en tant que lesbienne dans une avancée de société parce que j'ai eu un parcours de féministe engagée. Pendant des années à Rennes j'étais très active dans le milieu associatif pour défendre les droits des lesbiennes, le droit à la différence.
Ce mariage avait donc une résonance politique pour moi. Et aussi une résonance familiale ! A partir du moment où je me mariais, cet acte civil avait des répercussions dans ma famille où j'ai subi l'homophobie dès l'âge de 23 ans. Mon père m'a rejetée en raison de mon homosexualité pendant quinze ans. Après j'ai eu le droit de revenir dans ma famille mais de manière très restreinte, sans jamais être dans mon identité puisque je n'avais droit de paraître que seule et jamais accompagnée. Tout ce qui faisait ma vie affective avait toujours été nié. Avec le mariage on a basculé très modestement vers une acceptation, forcée certes, mais une acceptation de mon affectivité.
Une loi c'est important parce que c'est un moteur qui fait avancer les mentalités !

Florence - Souvent, ce qui fait peur, c'est ce qu'on ne connaît pas. De nombreuses personnes hétérosexuelles sont venues à notre mariage et se sont ouvertes à plein de choses ; autant les hommes que les femmes, ils ont cheminé et ça leur fait beaucoup de bien !

Avant la loi, au milieu du déchaînement médiatique, elles ont vécu une période d'abattement, de tristesse et de cauchemars !

mireilleflo-bMireille – On a assez mal vécu l'avant, avec toutes les manifestations contre la loi. En tant que militante, j'avais beaucoup manifesté à l'époque de la loi pour le PACS. De la même manière, j'ai voulu m'engager cette fois-ci. J'ai participé à Rennes à une contre manifestation et j'ai été extrêmement choquée. Je n'y allais pas dans une dynamique combattante mais pour témoigner de mon désaccord avec cette manifestation contre le mariage et j'ai été extrêmement surprise et vraiment meurtrie ; j'ai ressenti une profonde tristesse de voir les gens se réjouir pour combattre un droit, pour combattre l'idée de l'amour entre deux femmes ou deux hommes. Puisque moi j'étais dans une disposition très généreuse, très lumineuse, amoureuse, je ne comprenais pas, j'avais l'impression d'être dans un autre monde. Je voyais ces gens qui comme vous et moi avaient un visage avenant, étaient bien habillés, heureux, avec des enfants sur les épaules... se mobiliser pour nous interdire l'accès à un droit ! J'étais complètement abattue de tristesse. On a vécu ces mois comme quelque chose de navrant, de désolant et dans une grande incompréhension. Comment pouvait-on être si semblables en apparence et si différents dans la compréhension de ce qui est essentiel entre les êtres humains : l'amour ?

Florence – Moi, j'ai beaucoup fait de cauchemars ; je me faisais des films d'horreur sur ce mariage, avec plein de gens qui nous attendaient à la sortie, qui nous tabassaient ; il nous fallait mettre un gilet pare-balles, un casque intégral. Je cauchemardais, mais au sens propre, hein, la nuit ! C'est dire si l'inconscient était travaillé !

Mireille – Tout ça a libéré la parole ; avant, il y avait une homophobie qui était un peu niée et là on a eu l'autorisation pour se laisser aller, l'expression a été autorisée. Une de mes collègues qui est venue à notre mariage a été résolument touchée de tout ce qui émanait de notre couple ; et elle m'a dit après sa profonde tristesse d'avoir été associée à tout ça par une de ses amies qui lui communiquait les pétitions contre le mariage pour tous. Comme beaucoup d'autres personnes, elle s'est aperçue que des gens très proches d'elle pouvaient être à des années lumière en termes de posture politique, en termes de vision de société ; ça a permis de faire sortir des choses qui étaient non dites, dissimulées. Effectivement ça a été pour nous extrêmement choquant. Les peurs qu'exprime Florence ont été moins exacerbées de mon côté puisque moi, j'ai eu pendant des années des actions militantes donc j'étais déjà confrontée à l'homophobie. J'ai organisé la première lesbienne gay-pride à Rennes en 1994 ; on avait distribué des tracts au marché des Lices et ça n'avait pas été facile !
On savait que des personnes étaient homophobes, que des gens étaient opposés à cette loi, mais à ce point, pour mobiliser autant de foules, autant de hargne et jusqu'au moment de la promulgation de la loi ! Les gens qui ont manifesté encore dans la rue après, ou des maires qui se positionnent pour refuser de marier les personnes de même sexe, enfin, on marche sur la tête ! Parce qu'il faut revenir à l'origine ; le mariage devrait être une célébration d'amour et il n'y a aucune raison que ça fasse lever des obstructions et autant d'agressivité. Par contre, je pense que là où le mariage est dévoyé, c'est qu'il est utilisé pour renforcer des normes de société hétéro-patriarcales. Et évidemment, ça vient toucher à des luttes de classes, à des différences de droits, donc les gens veulent protéger ce système-là.

Se marier c'est s'engager l'une envers l'autre mais c'est aussi se montrer ; elles avaient opté pour la couleur et la joie mais il y eut aussi des larmes...

Florence - Moi, j'étais dans l'invisibilité totale. En plus, je n'ai jamais aimé les mariages, alors il a fallu que je travaille beaucoup sur moi quand même ! C'était ma preuve ultime d'engagement et de témoignage que j'aimais Mireille. Mais je ne regrette pas. Nous avions invité 75 personnes et quand on voit ce que ça a provoqué comme ouverture, comme changement de regard, c'est super ! Tout autour de nous, en ce moment, ça devient très tendance pour les hétéros d'être invités à un mariage homo. Et je pense que ça va grignoter de l'intérieur, dans le bon sens du terme ! Les gens vont voir que c'est un mariage comme les autres avec ses flonflons, ses trucs un peu kitsch, ses trucs magnifiques... Sauf, qu'il y a un avantage pour les mariages homo c'est que comme dans nos familles en général, ce n'est pas ça, il n'y a pas la tante chiante qu'on est obligé d'inviter ou plein de gens super lourds qui plombent les mariages hétéros (rires) ; nous, on a que des gens qu'on aime ! Et qui nous aiment !mireilleflo-c

Mireille – Beaucoup de gens sont venus à notre mariage en disant « c'est bien parce que c'est vous » et finalement nous ont avoué après : « c'est le plus beau mariage auquel on a assisté » Pourquoi ? Sans doute parce que c'était le mariage de deux femmes et c'était un mariage d'amour, donc, à plein de niveaux, les gens ont été touchés. Il y avait beaucoup d'émotions ; tout le monde pleurait !

Florence - Il faut dire que pour Jocelyne Bougeard, adjointe au maire de Rennes, c'était aussi le premier mariage homo. Elle a fait un discours très humaniste qui a complètement retourné les gens ; même nos copines lesbiennes qui ont beaucoup milité contre le mariage, contre ces trucs bourgeois caduques, tout le monde était retourné ! L'agent administratif n'arrivait pas à lire son texte tellement il y avait d'émotion au mètre carré ! Notre mot d'ordre était : la couleur ! Le mariage d'avant, ils étaient tous en noir et blanc. Et nous on est arrivés, c'était de la couleur, de la joie ; c'était léger. On a tout fait légèrement. Et c'était bien parce que moi avant, j'étais quand même passée par des affres !

Une fois la fête passée, être mariées, ça peut changer beaucoup de choses et même chez ceux qu'on croyait définitivement fermés.

Mireille – Pour moi, le plus grand changement est d'ordre familial. Mon père a refusé de venir à mon mariage. J'ai beau avoir 50 ans et lui 76, ça n'a quand même pas été facile. Néanmoins, il a accepté de rencontrer Florence au cours d'un repas huit jours avant. Pour moi c'était très clair ; à partir du 14 septembre, qu'on le veuille ou non, Florence fait partie de la famille, et maintenant quand on m'adresse la parole, quand on prend de mes nouvelles, on doit aussi demander des nouvelles de Florence ! J'ai su être très déterminée. Alors, ça nous fait rire parce que depuis quelques mois je suis avec Florence à Toulouse et au téléphone mon père me dit : « bon, ben tu diras bonjour à Florence » et ça ne s'est jamais passé comme ça avant, donc je trouve que même si c'est modeste, il y a une avancée très concrète ; le mariage a permis à mon père de basculer vers nous, de s'autoriser à imaginer que Florence puisse être sa belle-fille.

Florence - C'est une grande avancée dans la société parce que si lui avance un peu ça veut dire que tout le monde peut être joint par le cœur. Pour moi, c'est surtout le regard de mes ami-e-s qui a changé parce qu'il y a une légitimité ; on est dans un cadre, c'est scellé et on ne pourra jamais nous l'enlever, ça été fait ! Quelque part il y a comme une protection que je sens à l'intérieur de moi. Je fais un métier public, alors ce n'est pas trop simple par rapport à ma vie ! Mais ça va le devenir de plus en plus... Je viens de loin ; j'infuse l'information de façon ciblée. La plupart de ma famille n'est même pas encore au courant. Une famille catho à fond ; je n'ai pas envie de me friter bêtement... enfin, si un jour ils évoluent, je leur dirai... Mais je vais organiser un repas avec plein de gens pour annoncer qu'on s'est mariées.

Mireille - Moi, j'ai offert le champagne là où je travaille pour fêter mon mariage. C'est une petite structure d'une dizaine de personnes ; certains de mes collègues sont des amis donc ils connaissaient Florence. Ils m'ont dit : « tu vas dire que c'est une femme ? Les gens ne vont pas avoir ça en tête ! » Je n'y avais pas pensé ! Alors, je suis allée voir les autres et je leur ai dit : « je n'ai pas été cachottière, mais je ne pouvais pas vous parler de mon mariage parce que la loi du mariage pour tous n'était pas encore votée. » Les collègues ont compris et m'ont dit : « on est heureuses pour toi ». Leur réaction a été très chaleureuse et tout de suite, elles ont voulu savoir si on parlait l'une de l'autre en disait « ma femme » et ça a permis un échange.

Florence et Mireille ne parlent pas d'enfants pour elles. « Nous, on est vieilles » résume Florence. Mais pour les autres, elles pensent que « tout le monde doit avoir accès à tout » et que « chacun doit pouvoir faire ce qu'il veut ».

Mireille - Il faut les mêmes droits pour tout le monde ! Je trouve que c'est un cadre qui va permettre justement de protéger les enfants, de protéger le lien parental et d'assurer une responsabilité, ça me paraît essentiel. Et c'est extrêmement important que le mariage puisse permettre l'adoption. L'insémination c'est un autre sujet ; je pense qu'ils ont eu raison de l'enlever sinon aujourd'hui on n'aurait pas pu se marier, cela aurait été trop frontal.

Florence - Ils nient la réalité ! Ils ne se rendent pas compte qu'il y en a partout des homos et des lesbiennes qui ont des enfants, qu'il y a des charters pleins de femmes qui viennent de toute l'Europe en Belgique et à Barcelone pour être inséminées ! De toute façon, qu'ils le veuillent ou pas, la réalité est là. Dans les écoles, au catéchisme, dans les colonies de vacances, il y en a partout des enfants d'homos ! Et plus l'homosexualité est acceptée, plus les femmes ont des désirs tout à fait normaux de fonder des familles. Si ça ne passe pas, elles continueront d'aller à Barcelone, en Belgique ou ailleurs ! C'est idiot parce qu'économiquement, ça ferait des créations d'emplois en France, ça remonterait l'économie française ! (rires)

Mireille - C'est vraiment se cacher derrière son petit doigt que de nier cette réalité donc ça ne sert à rien ; les gens qui sont contre le mariage pour tous, c'est un combat vain ; ce n'est pas parce qu'ils vont interdire que les gens vont refuser de fonder des familles. Il faut simplement protéger l'existant, c'est tout, donc c'est le droit des enfants ! J'ai été désolée de voir l'instrumentalisation des enfants dans les manifestations contre le mariage pour tous. En les voyant avec des enfants sur le dos, je ne pouvais pas m'empêcher de penser que parmi ces enfants, un certain nombre d'entre eux deviendront potentiellement lesbiennes ou gays. Donc, on imagine à quel point ces gens font du mal à leurs propres enfants qui sont en devenir d'être homosexuel-les. C'est quelque chose d'incompréhensible pour moi.

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Quand elles pensent aux jeunes garçons et jeunes filles qui découvrent aujourd'hui leur homosexualité, Florence et Mireille sont renvoyées à leur propre expérience. C'est peut-être plus facile maintenant, quoique...

Florence - Ce qui a changé ce sont les modèles dans l'audiovisuel ; dans chaque série, il y a l'homo de service donc ça se banalise quand même ! Moi, je cherchais partout des modèles. Je ne voyais aucun miroir de ce que j'étais à part deux bouquins et demi et encore il fallait aller fouiller... C'est beaucoup plus facile même pour se rencontrer, aujourd'hui ils ont internet. Moi, j'habitais à la campagne... Il y a beaucoup plus de gens ouverts aujourd'hui ; pour moi c'est une vraie avancée.

Mireille - J'aurais peut-être un avis un peu nuancé ; effectivement il y a eu un net progrès. Comme Florence, quand j'ai commencé à découvrir mon homosexualité, je n'avais pas de références, pas de représentations et surtout pas positives. Donc il y a eu une réelle avancée, néanmoins, aujourd'hui être homosexuel-le c'est toujours être différent. Et un ado qui est élevé dans une famille où n'est jamais évoqué ce droit à la différence va le vivre très mal de toute façon. On vit dans une société hétéro-normée et l'éducation est faite à travers cette norme. A l'école, les enfants apprennent à lire avec Papa Ours et Maman Ours. Cet exemple est très parlant : on fait des tests avec un ours qui lit dans son fauteuil et un autre ours avec les mêmes caractères physiques qui travaille à la cuisine ; c'est maman qui est à la cuisine, c'est papa qui est dans le fauteuil. On apprend à penser à travers ce langage hétéro-sexué. Il reste un long chemin à faire. Je pense qu'on y sera arrivé lorsque à l'école ou dans les bouquins, il n'y aura pas de distinguo entre homosexuel et hétérosexuel ; ce sera acquis lorsqu'en entendant quelqu'un dire « je suis marié » les gens auront le réflexe de se dire : avec un homme ou avec une femme ?

Florence - J'ai rencontré une psy qui me disait : ne sous-estimez pas ce que vous venez de faire, c'est énorme ontologiquement ; vous dérangez jusqu'à Adam et Eve ! On est dans les remous de tout ça ! Et ça remue des archétypes tellement anciens, on ne peut pas tout révolutionner d'un coup de baguette magique. Même en nous-mêmes, c'est pareil ; moi je pense que je n'ai pas encore trouvé tout ce que ça va transformer en moi intérieurement et socialement !

Propos recueillis par Geneviève ROY