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La maternité, moment de plénitude et de réalisation personnelle pour toutes les femmes... Si vous y croyez vraiment, précipitez-vous sur le travail de Noha Habaieb. Vous découvrirez que nombre de jeunes mamans sont en souffrance.

Injonctions de la société, pressions des familles et belles-familles, insistance des professionnel-le-s de santé... difficile pour une jeune maman de s'y retrouver dans ce qu'elle doit ou ne doit pas faire et surtout difficile pour elle d'imposer ses propres choix.

Parce qu'elle connaît bien le sujet, la bédéiste tunisienne, mère d'une petite fille, réalise une exposition criante de vérité – visible à Rennes cette semaine - qui illustre non seulement sa propre expérience mais aussi les témoignages qu'elle a recueillis en Tunisie.

 

Pour sa deuxième participation au Festisol (festival des solidarités) à Rennes, l'association franco-tunisienne l'ATEP a fait appel cette année à l'illustratrice tunisienne Noha Habaieb. « J'avais entendu parler de Noha lors du festival de la bande dessinée d'Angoulême – se souvient la présidente de l'ATEP, Fatma Safi et je cherchais une nouvelle façon d'exposer ; j'ai pris contact avec elle et je l'ai laissée libre de choisir le sujet qui lui tenait à cœur dans la période péri-natale ».

L'artiste n'a pas hésité un seul instant. Plutôt habituée aux dessins à caractère politique, notamment dans Lab619 le magazine de BD pour adultes qu'elle a co-fondé à Tunis, elle se lance avec enthousiasme sur cette thématique. « Le sujet s'est imposé à moi – confie-t-elle – J'avais envie de dire les pressions vécues après mon accouchement et toutes ces choses qui m'avaient profondément gênée. Et comme c'était une commande – ajoute-t-elle dans un rire – je pouvais me permettre de dire tout ça sans que ma mère et ma belle-mère trouvent à redire ! »

Suivre le médecin, les parents ou son propre instinct ?

Pour étayer son propre ressenti, Noha recueille via une communauté de jeunes mamans tunisiennes les témoignages « très durs et très touchants » d'autres femmes. Elle en ressort confortée dans l'idée qu'il est utile – voire urgent – de parler enfin de ce sujet tabou. « On veut bien faire, on veut remplir notre rôle de jeune maman – défend la dessinatrice - et l'entourage, notamment la famille, veut également bien faire en donnant des conseils. Mais ce n'est pas la même génération, pas la même vision et souvent on a du mal à accepter ces remarques qui nous semblent agressives. »

Un malaise qui d'après elle peut aller jusqu'au doute. « Est-ce qu'on suit le médecin, est-ce qu'on suit les parents, ou bien est-ce qu'on suit son instinct ? On peut facilement perdre confiance et avoir l'impression qu'on ne mérite pas d'être maman » dit encore Noha. En d'autres mots se sentir une « mère indigne » !

Noha2Et Fatma Safi le confirme : « La famille, malgré ses bonnes intentions, peut parfois être envahissante et ne pas prendre en considération la sensibilité des femmes dans cette période après l'accouchement. On culpabilise beaucoup les jeunes mamans autour de l'allaitement par exemple. Si elles n'allaitent pas, elles ne sont pas de bonnes mères, mais au moindre problème la qualité de leur lait est remise en cause. »

A tout cela s'ajoute l'image véhiculée, par les médias notamment, de la jeune maman épanouie, au ventre plat et au bébé toujours content. « C'est loin d'être la réalité – analyse Fatma Safi - mais les femmes ne le savent pas ; elles s'auto-infligent des violences parce qu'elles ont été formatées comme ça depuis l'enfance ! Elles doivent être parfaites et ça peut faire le lit d'une dépression ! On a oublié que le corps a besoin de temps pour récupérer ; les mamans ne se donnent plus le droit de prendre le temps. »

Un engagement destiné à changer les regards

Une situation qui, les deux jeunes femmes le reconnaissent, n'est pas spécifique bien sûr à la Tunisie et concerne des jeunes mamans en France et partout dans le monde. Mais qui ne se dit pas car quand on vient d'accoucher on ne peut qu'être heureuse !

Pour Noha travailler sur ce sujet a eu l'effet d'une sorte de thérapie. « J'avais besoin d'en parler – dit-elle – et je vais poursuivre ce travail et même aller plus loin ». Un peu passive sur les premières planches, la jeune maman est appelée à réagir dans la suite du travail ; une nécessité pour Noha qui veut être utile aux « mamans qui vont lire ça ».

Noha3L'exposition s'accompagne d'un petit livret, premier d'une série que l'ATEP souhaite éditer à l'intention des futures mamans. Une façon de dédramatiser certaines pratiques comme la péridurale ou la césarienne et d'apporter aux jeunes femmes des éléments d'information utiles dans leurs prises de décision concernant la maternité. Ce que Fatma appelle « un consentement informé et éclairé ».

Parce que ces sujets invisibilisés peuvent être « graves pour les mamans », Fatma et Noha estiment que la première réponse à apporter est d'en parler et de montrer aux femmes concernées qu'elles ne sont pas seules avec leurs questions. Noha Habaieb défend son travail comme « un engagement qui veut changer les mentalités, changer le regard que les gens portent sur les femmes qui viennent d'accoucher mais aussi changer le regard de ces femmes-là sur elles-mêmes ! »

Geneviève ROY

Pour aller plus loin : exposition « Mères Indignes » à la Maison de Quartier de la Touche jusqu'au 2 décembre chaque jour de 9h à 12h et de 14h à 19h