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 Si vous lui parlez d'Octobre Rose , elle répond sans hésiter : « les autres années, franchement, ça me passait un peu au-dessus ». Et dans un grand éclat de rire, elle ajoute qu'elle trouve ce nom « stupide » : « comme si on n'en avait pas assez de tout ce rose pour les filles ! Enfin, je me prépare psychologiquement, parce que je commence à voir des affiches partout et des rubans roses... Et puis, c'est important de sensibiliser les femmes. »

Pour elle, depuis quelques mois, le cancer du sein c'est plus qu'une campagne de communication. C'est une réalité. Et des souffrances bien réelles aussi qu'elle a choisi d'exprimer, à la façon des jeunes femmes de sa génération, avec humour sur internet « parce que c'est un peu effrayant de souffrir autant sans que personne ne le sache ».

Elle y signe ses articles du nom qu'elle s'est choisi pour les réseaux sociaux : Ariel Kynodontas.

 

Elle aime les poèmes de Sylvia Plath (référence à son « faux » prénom Ariel), les films grecs (référence à son « faux » nom Kynodontas), la langue anglaise qu'elle étudiait voilà quelques mois à l'Université et à laquelle elle emprunte le titre de son blog. Sa vie avant c'était sa petite maison pas loin de la mer du côté de Lorient, sa petite fille, son compagnon, son projet de devenir professeure des écoles, son job de surveillante de collège et ses études à terminer.

Aujourd'hui, la vie d'Ariel, 28 ans, c'est les séances de chimio, l'opération chirurgicale programmée pour ce mois d'octobre, ses cheveux qui commencent à repousser et qu'elle est fière de montrer depuis qu'elle a fait le choix d'ôter son foulard. Mais sa vie, c'est aussi, et toujours, sa petite fille qu'elle appelle son « moteur blond » et qui vient de fêter ses quatre ans, son compagnon qu'elle appelle son « lapin » et ses projets professionnels inchangés. Elle vient de débuter une formation de langue bretonne avec toujours à l'horizon son envie d'être enseignante en école diwan ou en classe bilingue.

« J'attendais peut-être un prétexte pour me remettre à écrire »

« Le cancer, ça m'a changée ; c'est obligé ! » reconnaît Ariel. Elle sait que désormais, elle aura envie de vivre plus pour elle sans culpabiliser. « Je n'ai plus envie de me forcer à voir des gens ou à faire des choses qui ne me plaisent pas pour faire plaisir ; on va plus à l'essentiel » dit-elle encore. Et depuis ce jour d'avril dernier où deux heures avant son examen de deuxième semestre, elle apprend sa maladie, l'essentiel, c'est pour elle de s'exprimer, de « laisser une trace ».

ariel2« J'attendais peut-être un prétexte pour me remettre à écrire » avoue-elle se souvenant de ses premières tentatives à l'adolescence, de ses poèmes et de ses chansons, de ses « trucs un peu torturés ». En 2018, c'est par le biais d'internet qu'elle retrouve ce plaisir d'écrire.

Ce qu'elle débute simplement pour donner de ses nouvelles à ses proches la dépasse bientôt. « J'étais très fatiguée à cause des chimio et j'avais la flemme d'écrire tout le temps le même message et de raconter tous les jours comment ça allait – explique-t-elle – alors j'ai eu l'idée de faire une sorte de journal de bord pour ne plus avoir à répéter plusieurs fois. Et je me suis rendu compte que ça me faisait un bien fou, que ça me permettait même d'en rigoler ! »

Ariel pense aussi à sa fille qui aura peut-être un jour envie de lire tout ça. « J'ai souffert, c'était horrible – confie-t-elle encore – je voulais laisser une trace et aussi ne pas oublier par où j'étais passée. »

« Ça m'a permis d'accepter l'image que je renvoyais »

Ariel partage son expérience sur un forum de femmes malades et très vite son blog est visité par des personnes qu'elle ne connaît pas mais qui y trouvent un certain réconfort. « Certaines malades viennent chercher des réponses à leurs questions ; ça leur permet aussi de rigoler de leur maladie, parce que finalement, on peut rire de tout » dit encore celle qui parvient à conjuguer plume légère et regard sans concession sur la maladie et ses conséquences.

Dans son article « Pourquoi ce sera la meilleure nouvelle de votre vie lorsqu'on vous apprendra que vous avez un cancer », elle fait avec ironie la liste de toutes ces choses « méga cool » qui lui arrivent : pouvoir traîner en legging à la maison, faire le tri des potes, rattraper son retard en regardant des séries toute la journée, ne plus risquer d'attraper des poux...

ariel1L'existence de « Fighting the crab » arrive même aux oreilles de quelques médias et Ariel s'amuse aujourd'hui d'avoir eu un article dans Cosmopolitan : « c'est pas vraiment mon truc, mais bon ! ». S'exposer sur les réseaux sociaux, publier des photos d'elle, autant de choses qu'elle trouvait « un peu ridicule » avant et qui durant ces longs mois de traitement lui auront permis « d'accepter l'image [qu'elle] renvoyait ».

« A 28 ans, je ne pouvais pas penser que ça allait m'arriver »

Voilà quelques jours, Ariel est allée à l'hôpital de Lorient pour sa dernière chimio. « J'ai souffert, mais ce n'est pas fini » dit sobrement la jeune femme qui ajoute « éviter de penser » à l'après opération. « Comment va être mon corps ? » s'interroge-t-elle. Elle pense aussi à l'après maladie. Et rêve de transformer l'essai de son blog avec peut-être l'édition d'un livre. « J'ai des projets plein la tête ! » résume-t-elle avec enthousiasme.

Et parmi eux, celui de se mettre au sport. « Je suis végétarienne, je ne bois presque pas, je ne fume pas. J'avais déjà une hygiène de vie pas trop mal, mais je voudrais que ce soit encore mieux après pour ne rien avoir à me reprocher si le cancer revient ».

Alors, elle pense finalement qu'Octobre Rose c'est bien parce qu'on ne parle jamais assez des risques de la maladie. « Moi, je suis complètement passée à côté, mais à 28 ans, je ne pouvais pas penser que ça allait m'arriver – dit-elle – On pourrait peut-être en parler à d'autres moments dans l'année. » Parce que être malade, c'est aussi être seul-e.

« Même si on est entourées par la famille, les médecins, etc. au final on est toujours seules quand on souffre et c'est ça qui fait peur ! » estime encore Ariel. A Lorient, elle a rencontré une « super » association, Onc'Oriant, « qui propose plein de choses » : psychologue, esthéticienne, diététicienne, sophrologue... et même employé-es de ménage. « Quelqu'un va venir faire le ménage chez nous gratos – écrivait Ariel sur son blog voilà quelques mois – le truc un peu badant c'est que c'était moi il y a un an qui allait faire le ménage chez les gens malades »...

Geneviève ROY